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![L'ayahuasca: un remède pour les chamans, une drogue pour le Mexique](https://www.berlinertageblatt.de/media/shared/articles/a6/58/97/L-ayahuasca--un-rem--de-pour-les-ch-551173.jpg)
L'ayahuasca: un remède pour les chamans, une drogue pour le Mexique
Canines de jaguar autour du cou et plumes sur la tête, le guérisseur colombien Claudino Pérez sert à ses disciples une concoction brunâtre et épaisse, l'ayahuasca.
Après avoir passé deux ans en prison au Mexique pour avoir transporté cette boisson ancestrale des peuples indigènes d'Amazonie, il a repris ses cérémonies en périphérie rurale de Bogota.
À la fois curieux et pleins d'appréhension, Colombiens et étrangers désireux de soulager maux du corps et de l'esprit sont réunis pour un rituel de purification dans une ferme nichée dans la montagne.
Décoction préparée à partir d'une liane par les peuples du bassin occidental de l'Amazonie, l'ayahuasca est vue, selon les versions, comme un remède miracle, un outil d'exploration intérieure et de développement personnel, un hallucinogène récréatif ou à l'inverse un dangereux psychotrope.
Son effet principal est d'abord celui d'un purgatif, provoquant vomissements et diarrhées. Puis éventuellement des visions.
En mars 2022, le "taïta" (ou chaman, titre donné à l'autorité du peuple Uitoto) Pérez a été interpellé à l'aéroport de Mexico, avec dans ses bagages des bouteilles d'ayahuasca.
La boisson contient de la diméthyltryptamine (DMT), un composé psychoactif naturel, mais interdit par la loi mexicaine car "susceptible" d'être "mal utilisé".
"Là, tu n'es qu'un criminel de plus (...) considéré comme un vulgaire trafiquant de drogue", se plaint à l'AFP le guérisseur de 63 ans.
- "Zone grise" -
Selon l'avocat de M. Pérez, les procureurs mexicains avaient requis contre lui une peine de 25 ans pour "introduction de stupéfiants", mais un juge a finalement prononcé un non-lieu après deux années de détention préventive.
Pour convaincre les juges et les autorités mexicaines de l'usage millénaire de la boisson, le gouvernement colombien avait envoyé des universitaires au Mexique.
Son cas a ouvert un débat entre la préservation des traditions indigènes et la lutte contre le narcotrafic. Huit autres personnes, dont la moitié appartiennent à des peuples indigènes de Colombie, du Pérou et du Brésil, ont été arrêtées au Mexique pour les mêmes raisons, puis relâchées.
Selon la loi mexicaine, le DMT constitue "un problème de santé publique particulièrement grave". Ce psychotrope est aussi interdit aux États-Unis, au Canada et dans certains pays européens.
M. Pérez rejette cette prohibition, injustifiée selon lui. Comme guérisseur, il parcourt le monde avec l'ayahuasca recherchée, dit-il, pour traiter les douleurs liées au traitement de maladies graves ou pour se débarrasser d'addictions.
Dans les villages indigènes de Colombie, 84% des plus de 12 ans ont, selon les chiffres officiels, usé de l'ayahuasca comme médecine traditionnelle.
Julian Quintero, directeur de l'ONG Accion técnica social, spécialisée dans la lutte contre la drogue, estime qu'"il existe une zone grise que les pays d'Amérique latine devraient réglementer".
Selon lui, certaines de ces boissons "sortent des contextes rituels indigènes" étant donné la "tendance mondiale" au new age, au développement personnel et autres quêtes spirituelles.
D'un point de vue juridique, il est nécessaire de "préciser qui a le pouvoir" d'utiliser cette boisson de manière responsable et de s'assurer qu'elle "n'est pas détournée à des fins purement récréatives et commerciales", ajoute-t-il.
- "Notre crime est d'être indigène" -
Le Pérou a reconnu en 2008 l'ayahuasca en tant que patrimoine immatériel. Dans le pays, et dans une moindre mesure en Equateur, tout un juteux tourisme psychédélique s'est développé autour de cette plante.
En septembre 2023, Lauro Hinostroza, chaman du peuple péruvien Shipibo-Konibo, débarque à Mexico pour présider le Congrès international de la médecine des peuples indigènes, mais connaît la même mésaventure que son collègue Pérez.
Dans une boutique de médecine ancestrale de la capitale mexicaine, un bonnet de cérémonie sur la tête, Hinostroza travaille tout en collectant l'argent nécessaire pour retourner au Pérou après sa sortie de prison en mars.
À 71 ans, il ne comprend toujours pas pourquoi il s'est retrouvé derrière les barreaux. Dans la "guérison, l'outil de travail est la plante, l'ayahuasca", explique-t-il. "Notre crime est d'être indigène", peste-t-il.
Ni le bureau du procureur, ni l'administration de l'aéroport international de Mexico n'ont répondu aux sollicitations de l'AFP sur ces arrestations.
Parmi les rares documents officiels publics les concernant, un avis de la Commission des affaires indigènes du Sénat mexicain regrette que "des plantes ancestrales aux propriétés psychoactives ont été assimilées à des stupéfiants comme l'héroïne et la cocaïne".
T.Bondarenko--BTB